“L'endométriose est une double peine. La première, celle de la douleur, la deuxième, celle du patriarcat.” C’est ainsi que débute le manifeste du collectif ANCRés (À nos corps résistants) qui se bat pour une meilleure reconnaissance et une meilleure prise en charge de l’endométriose.
Car aujourd’hui en France, une femme sur dix est atteinte de cette maladie inflammatoire complexe et il faut en moyenne sept ans pour qu’elle soit diagnostiquée. Sept longues années d’errance, de souffrance… et de confrontation au sexisme.
Selon ANCRés, si aucun traitement spécifique n’a encore été mis au point, c’est parce que l’endométriose est une pathologie dite “féminine“.
“Les premières traces de l’endométriose remontent à l’Antiquité et pourtant la recherche est très en retard sur cette pathologie, détaille Jessica, membre du collectif. Le fait que ce soit lié aux menstruations est clairement un frein à sa reconnaissance. Personne ne s’y est intéressé car ça ne touche pas les hommes et que dès que c’est lié au féminin, on classe ça dans l’hystérie, on considère les douleurs comme moindres.“
"C’est normal d’avoir mal pendant vos règles" : la minimisation de la douleur des femmes
En effet, nombreuses sont les femmes qui rapportent que leur douleur n’a pas été prise au sérieux par les médecins.
“J’ai entendu ça à chaque nouveau rendez-vous avec un.e gynécologue : ‘Si les règles étaient une partie de plaisir, on le saurait !’, confie Marion, attachée de presse de 30 ans. Tout comme à chaque échographie où je souffrais beaucoup et qu’on me disait ‘oh, ça va, c’est juste une échographie’ puis, après n’avoir rien vu ‘vous voyez bien que vous n’avez rien, c’est normal d’avoir mal pendant vos règles !’“.
Marion a même été accusée de “voir le mal partout“ et de “se chercher une endométriose parce que c’est à la mode et que tout le monde en parle“.
De son côté, Mathilde, 38 ans, journaliste et consultante éditoriale, a été victime de ces phrases-là non seulement de la part de médecins généralistes ou gynécologues, mais aussi de ses proches. “Toute ma vie, ma mère, ma grand-mère et les femmes de ma famille m’ont répété que c’était normal d’avoir mal. C’est ce qu’on leur disait à elles aussi…“.
Et nous aurions tort d’imaginer que cela s’améliore, au vu du témoignage de la jeune Louna, 14 ans : “Mon beau-père m’a déjà dit pendant une crise de douleur au point où je ne pouvais même plus marcher que ‘je suis une fille, donc je dois obligatoirement souffrir’“.
Mais alors, d’où viennent ces clichés de genre ? Le corps médical se permettrait-il de dire à un patient : “Monsieur, arrêtez de vous plaindre, il faut faire avec“ ?
Endogirls, "victimes de l’idéologie dominante"
Danielle Hassoun a 74 ans, elle est gynécologue et féministe de la première heure.
Elle explique : “L’endométriose est une maladie de la douleur. La douleur des règles, la douleur pendant les rapports sexuels et même en dehors, la douleur spontanée. Et le problème de la douleur, chez les femmes en particulier, c’est que ce n’est pas un symptôme reconnu socialement. C’est supposé être naturel, donc si c’est naturel, on supporte. En fait, il y a une acceptation universelle du fait que les femmes doivent avoir mal, c’est au cœur de la culpabilité judéo-chrétienne. ‘Tu enfanteras dans la douleur’, c’est écrit dans la Bible ! Il me semble qu'il est là, le patriarcat.“
Cela étant dit, la spécialiste précise que c’est en partie la raison de ce retard de diagnostic subi par beaucoup de femmes.
“D’une part, elles supportent la douleur sans se plaindre et sans consulter ; d’autre part, les professionnels de santé ont tendance à croire eux aussi que c’est naturel - et comme ça ne fait mourir personne, ça ne les intéresse pas beaucoup. Sauf que ça peut tuer autrement, psychologiquement. Les femmes sont donc victimes de l’idéologie dominante - comme on disait dans les années 1970 - et victimes des professionnels qui ne posent pas suffisamment de questions et ne répondent pas suffisamment à leur douleur.“
Pour se sentir davantage comprises, celles que l’on surnomme les “endogirls“ devraient-elles alors privilégier les médecins femmes ?
Médecins hommes, médecins femmes : bonnet blanc, blanc bonnet ?
“Les hommes comme les femmes ont fait peu de cas de ma douleur“, lance Amandine, directrice des affaires publiques de 40 ans.
Même son de cloche chez notre témoin Marion : “Les gynécologues hommes ou femmes n’ont pas toujours considéré mes propos, n’étant pas assez informé.e.s ou tout simplement reniant ma douleur. J’ai croisé la route de médecins hommes très bienveillants et à l’écoute, et de médecins femmes très peu attentives à mes retours. Et inversement.“
Il ne serait donc pas pertinent de croire qu’une femme face à une autre femme ferait moins de dégâts.
“Eh oui, ce n’est pas parce qu’on est une femme médecin qu’on est un médecin féministe !“, commente Danielle Hassoun.
Mais tout de même, la féminisation du corps médical pourrait, à terme, provoquer des changements. Margaux est interne en médecine générale et, dans sa génération, il y a 70% de femmes. Or, à titre d’exemple, sur le site d’Endofrance où sont répertoriés les médecins membres du comité scientifique de l’association, sur 33 professionnels, seulement trois sont des femmes. Cet écart est-il en passe de se réduire ?
“On est beaucoup plus qu’il y a dix ou vingt ans, détaille l’étudiante de 24 ans. Donc je pense qu’on va accorder de plus en plus d’importance à cette pathologie dans les études de médecine.“
À ce jour, dans le livre de gynécologie qu’elle utilise, sur 600 pages, il n’y en a qu’une seule consacrée à l’endométriose.
“C’est très résumé, on nous donne les symptômes principaux et il n’y a pas de traitement évoqué. Je pense que les jeunes médecins seront plus sensibilisés. Peut-être que dans cinq ans, il y aura une dizaine de pages là-dessus dans le manuel !“
"Les recherches sont orientées par la domination masculine", Danielle Hassoun, gynécologue
Même optimisme du côté de Margot, également âgée de 24 ans et étudiante en sixième année de médecine à Sorbonne Université.
“Honnêtement, je trouve que ce n’est pas trop mal enseigné, sachant qu’avant d’étudier ce chapitre, je n’étais pas très bien renseignée sur le sujet. Dans notre item sur les ‘douleurs pelviennes’, on nous a parlé de l’endométriose tout autant que les autres maladies gynécologiques, en insistant sur la douleur, la fréquence et les recherches qui sont en cours parce qu’ils ne savent pas encore tellement comment ça fonctionne et comment on peut la traiter...“
Pour le collectif ANCRés, l’explication est claire : “l’endométriose est une de ces maladies que seul le patriarcat sait produire : connue depuis l’antiquité, reconnue depuis la fin du dix-neuvième siècle, la recherche n’a pas ou très peu avancé.“ Et la gynécologue Danielle Hassoun ne contredit pas le fait que les recherches soient “orientées par la domination masculine“.
“Ce constat va au-delà de la question de l’endométriose, souligne-t-elle. D’une manière générale, les recherches vont dans le sens d'une rentabilisation ; longtemps, elles étaient majoritairement faites par les hommes, donc tournées vers des sujets qui les intéressaient eux. Il ne faut pas se leurrer non plus, les recherches sont faites par les hommes, pour les hommes… mais aussi pour les gens riches ! Une chercheuse anglaise morte d’un cancer du sein disait : ‘on a beaucoup cherché sur le cancer du sein parce que ça touche les femmes d’hommes riches’. C’est dur, mais les centres d'intérêt de la recherche sont construits politiquement et économiquement.“
Endométriose : le militantisme féministe peut-il faire avancer les choses ?
Face à ces constats décourageants, pouvons-nous espérer que cela change ?
Jessica, membre du collectif ANCRés, apporte une note positive à son discours : “On voit que la tendance s'inverse depuis des années grâce aux réseaux sociaux et aux sites féministes, c'est génial ! Les femmes peuvent avoir accès à plus d'informations sur leur corps et son fonctionnement. Elles peuvent en parler librement et ne plus en avoir honte. Elles peuvent reprendre le contrôle et s'imposer face aux médecins. Et on voit même que certains hommes se renseignent ! C'est sans doute ce qui a aussi permis de faire connaître plus largement l'endométriose.“
Afin que les violences gynécologiques - psychologiques et physiques - cessent, elle souligne cependant qu’il serait nécessaire de “revoir tout le système médical“.
“Il faut que les médecins soient mieux formés sur la maladie et qu’ils aient des référents vraiment spécialistes lorsqu’ils demandent aux patientes de faire des échographies ou des IRM. Il est très facile de passer à côté de l’endométriose si on n’est pas assez renseigné et qu’on n’a pas appris à la reconnaître.“
Le travail - ou serait-il plus juste d’écrire “le combat“ - du collectif ANCRés et de nombreuses associations est indispensable à l’avancée de toutes les problématiques liées à l’endométriose.
“On va aller vers une meilleure compréhension, une meilleure écoute, mais si ça avance, ce sera toujours grâce aux activistes, reconnaît la gynécologue Danielle Hassoun. C’était comme ça pour la contraception, pour l’avortement, il a toujours fallu que les militantes féministes poussent le corps médical qui est, quand même, globalement peu progressiste.“
Rédigé par Chloé Thibaud - Journaliste