Le parcours est long avant que le diagnostic d’endométriose soit établi. Parfois, les patientes attendent jusqu’à dix ans pour savoir de quoi elles souffrent.
Enfin, même lorsque la sentence tombe, l’incompréhension demeure - “Je souffre d’endométriose, d’accord… mais c’est quoi ?“ Car cette maladie gynécologique est complexe et ses contours s’avèrent flous pour un grand nombre de femmes.
C’est pourquoi, en 2016, l’association EndoFrance et le CHU de Montpellier ont lancé le premier programme français d’éducation thérapeutique du patient (ETP) spécifique à l’endométriose.
Labellisé par l’Agence Régionale de Santé Occitanie pour une durée de cinq ans, ses co-créateurs et créatrices ont d’ores et déjà dressé leur bilan, et les résultats sont très positifs.
Qu’est-ce que l'éducation thérapeutique du patient en endométriose ?
“Nous avons été confrontées à une multitude de femmes qui se tournent vers nous parce qu’elles se disent ‘désespérées' “, commence Yasmine Candau, présidente d’EndoFrance.
"En fait, elles se sentent désarmées car les médecins qu’elles rencontrent n’ont pas le temps de leur expliquer de A à Z comment fonctionne la maladie. L’éducation thérapeutique du patient leur permet de devenir actrices de leur prise en charge."
Quand le programme a démarré, il n’y en avait aucun en France consacré à l’endométriose. En revanche, le concept existait déjà pour d’autres maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension ou certains cancers, des pathologies pour lesquelles les patient.e.s ont besoin de comprendre leurs traitements et d’avoir des outils pour apprendre à vivre avec la maladie.
"Nous nous disions que l’endométriose avait toutes les caractéristiques requises puisqu’elle impacte la carrière, la vie sociale, la vie de famille, commente Yasmine Candau. Face à ce constat, l’idée était de dire aux concernées : il y a des solutions pour repenser votre vie avec la maladie chronique… trouvons-les ensemble !“
Devenir actrice de sa prise en charge
La particularité de ce programme réside dans le fait qu’il a été construit avec les patientes d’EndoFrance et du CHU, à qui il a été demandé notamment quelles étaient leurs principales difficultés ou comment elles arrivaient à soulager leurs douleurs.
En 2016, un peu moins d’un millier de femmes étaient adhérentes. Aujourd’hui, elles sont 2600, c’est dire si le programme est utile.
“À partir des réponses qu’elles ont formulées, nous avons mis en place des ateliers avec les médecins, par exemple ‘Je comprends la maladie et les traitements proposés’ où l’on fait intervenir un gynécologue et une patiente experte pour informer et partager du vécu autour de la maladie. Il y a aussi ‘comment gérer la douleur en dehors des traitements’ avec une journée consacrée aux méthodes non médicamenteuses comme le yoga, la sophrologie, la kinésithérapie ou l’ostéopathie.“
L’échange entre patientes intervenantes et patientes expertes
Plus qu’un groupe de parole, l’ETP fait se rencontrer des “patientes intervenantes“ et ce qu’on appelle des “patientes expertes“.
Pour en faire partie, il ne suffit pas d’être atteinte d’endométriose, il est nécessaire de suivre une formation de quarante heures minimum qui délivre un diplôme universitaire permettant d’animer des sessions et d’être rémunérées comme les autres intervenant.e.s. Amélie Denouel est à la fois co-créatrice du programme (elle était en stage au CHU en 2015-2016) et patiente experte.
“Je me suis reconvertie dans le milieu de la recherche clinique et ce qui m’a motivée, c’est mon statut de patiente, explique-t-elle. Je me suis rendu compte qu’il n’existait pas grand-chose - pour ne pas dire rien du tout - sur l’endométriose. Quand j’étais en stage en gynécologie, j’ai accompagné pas mal de patientes et j’ai remarqué qu’elles avaient toutes besoin de parler, d’appartenir à un groupe. Le problème, c’est que dans les groupes de parole, on se concentre souvent sur le partage d’expériences négatives, douloureuses. C’est important, bien sûr, de dire qu’on a mal, d’exprimer ce qui fait souffrir le corps et l’âme, mais il faut pouvoir envisager le mieux. Avec l’ETP, on s’ouvre à d’autres possibilités, on cherche ensemble comment se sentir bien et être mieux accompagnées en fonction de nos besoins.“
Lors d’une séance d’ETP, ce ne sont pas seulement l’intervenant.e et la patiente experte qui apportent l’information.
“C’est un échange, et ça c’est très important, souligne Yasmine Candau. L’intervenant est surtout un médiateur, il interroge les patientes qui parlent chacune de leur cas, ce qui devient une expérience pour celles d’en face.“ Amélie Denouel l’affirme : pouvoir échanger avec d’autres endogirls fait toute la différence.
“On sort de l’enfermement, de la solitude. Quand les patientes vont vraiment très mal, elles ont l’impression qu’elles ne s’en sortiront jamais. Alors, d’être en présence d’une femme qui leur dit ‘je suis passée par les mêmes étapes que vous, on m’a conseillé ceci, j’ai vu tel professionnel qui a su m’aider’ ou surtout des phrases comme ‘je revis’ ou ‘j’ai réussi à avoir un enfant’, ça les aide énormément.“
Un programme qui soulage aussi les médecins
Ce programme aide également les médecins en leur faisant gagner du temps.
“Jusqu’à maintenant, je ressentais de la frustration à ne pas pouvoir expliquer à mes patientes tout ce qui était possible pour elles, confie docteure Claire Vincens, gynécologue-obstétricienne spécialisée dans l’endométriose et médecin de la reproduction.
“Une consultation dure en moyenne vingt minutes, ça passe vite… Résultat : elles sont souvent frustrées, elles aussi. Et les papiers d’information qu’on peut leur donner ne leur parlent pas forcément. Ce qui est important, c’est que ce programme leur permet de se sentir reconnues en tant que patientes en endométriose, après des années d’errance."
Par ailleurs, la spécialiste observe qu’en comprenant mieux l’intérêt des traitements, les femmes tolèrent davantage les effets secondaires.
“La prise de poids, l’acné, la perte de la libido sont potentiellement difficiles à accepter. On leur explique qu’il faut parfois essayer plusieurs traitements avant de trouver le bon.“
Qui peut rejoindre le programme d’éducation thérapeutique du patient ?
Selon elle, le programme s’adresse surtout aux patientes qui souffrent depuis un moment.
“Je reçois de plus en plus d’adolescentes en consultation et je trouve que l’ETP ne leur est pas forcément adapté puisqu’on ne peut pas être certains du diagnostic à cet âge-là. En les plaçant trop tôt dans le programme, elles peuvent rencontrer des femmes dont l’histoire va leur faire peur, notamment sur les questions d'infertilité ! Or, l’endométriose ce n’est pas que ça, et je ne voudrais pas que les jeunes filles pensent que ce diagnostic signe la fin de leur vie.“
Avant de l’inscrire à l’ETP, les organisatrices dressent un bilan avec la patiente afin de s’assurer qu’elle est prête à l'intégrer.
“Tout le monde peut rejoindre le programme, mais certaines ne se sentent pas prêtes, ajoute Yasmine Candau, notre rôle est de bien évaluer la situation en fonction de leur état et de leur volonté.“
Objectif : développer le programme partout en France
Actuellement, le programme d’éducation thérapeutique reste peu connu, mais l’objectif d’EndoFrance est qu’il soit mis en place dans de nombreuses villes françaises.
“C’est en train de se répandre un peu partout et nous espérons que l’ARS va autoriser et labelliser de plus en plus de programmes sur l’ensemble du territoire, signale la présidente de l’association. En ce moment, on en monte un avec un hôpital à Paris, on va le faire aussi sur Bordeaux, Nimes, et ça va être plus facile car on travaille avec le ministère de la Santé sur une lutte nationale contre l'endométriose. On a demandé à ce que l’éducation thérapeutique fasse partie intégrante du parcours de soin des patientes.“
Le fait que le programme demande non seulement de l’argent mais aussi du temps représente le principal obstacle à sa diffusion rapide.
“Un programme s’étale sur une année car on privilégie les petits groupes pour favoriser les échanges. Il faut aussi former les équipes, ce qui n’est pas si évident, rédiger les programmes, louer des salles quand ça ne se fait pas à l'hôpital, etc.“
De son côté, Amélie Denouel travaille avec Claire Vincens pour enrichir le programme avec une partie consacrée à l’infertilité et intégrer le couple à la réflexion.
“Notre démarche est de nous dire : très bien, nous nous sommes adaptés aux besoins des patientes et ça leur a plu, mais comment rester à leur écoute et repenser au mieux l’offre de soins ?“, s’interroge la patiente experte.
En tout cas, l’évaluation réalisée auprès des 200 femmes qui ont déjà participé est prometteuse, le taux de satisfaction dépassant les 90%. Nous ne pouvons que souhaiter qu’un maximum de patientes puissent y avoir accès dans les années à venir.
Rédigé par Chloé Thibaud - Journaliste