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En octobre 2019, l’Assistance publique Hôpitaux de Paris publiait une enquête[1] sur le poids que constitue le traitement pour les personnes atteintes de maladie chronique. Selon cette étude, en France, 38 % des patients atteints d’une maladie chronique « estiment leur fardeau du traitement inacceptable ».

Ce fardeau peut aussi être désigné sous le nom de charge mentale. La charge mentale recouvre la série de tâches supplémentaires à effectuer et les nombreuses choses à anticiper que les personnes atteintes de maladie chronique ont et que les personnes non malades n’ont pas.

Charge mentale et maladie chronique : de quoi parle-t-on ?

Parmi ces tâches, on retrouve le fait de devoir prendre un traitement médical une à plusieurs fois par jour, potentiellement à heure fixe (avec le risque de complications sévères en cas d’oubli), le fait de devoir prendre des rendez-vous réguliers de suivi chez les médecins, des rendez-vous chez les professionnels de santé paramédicaux (kinésithérapeute par exemple), etc. La charge mentale signifie aussi avoir à prévoir et organiser chaque sortie et chaque déplacement que ce soit un dîner chez des amis pour avoir une alimentation adaptée ou un voyage à l’étranger pour être certains qu’on pourra obtenir les soins que la maladie nécessite (hospitalisation en cas de crise par exemple).

La maladie chronique s’accompagne pour la grande majorité des personnes vivant avec d’une intense fatigue. La charge mentale signifie donc aussi anticiper la fatigue qui peut découler d’activités dans la journée. C’est ce que décrit Aurélie : « la charge mentale de l’endo pour moi c’est gérer la fatigue intense qui envahit mon quotidien : maison, enfant, boulot, et faire malgré tout alors que mon corps et mon esprit veulent juste du calme et mon canapé ».

Un quotidien bien plus compliqué sur le plan familial, amical et professionnel

Mais la fatigue ce n’est que la partie émergée de l’iceberg pour la plupart des femmes souffrant d’endométriose.

La maladie engendre bien d’autres symptômes encore plus handicapants qui nécessitent d’être toujours prête, toujours organisée, toujours sur le qui-vive. Mélodie raconte : « Savoir que mes règles hémorragiques vont arriver pendant mes vacances, un voyage ou un événement public et que je dois me changer toutes les demi-heures ou toutes les heures les premiers jours et donc gérer l’organisation en fonction de ça … c’est trop ». Sophie décrit la même logistique épuisante au quotidien : « ma vie sociale que ce soit les sorties ou les vacances, est calée sur mon cycle menstruel. J’essaye toujours d’anticiper aux mieux mes activités. Par exemple, penser à emporter mon Tens, mon coussin pour mon coccyx ou bien mes patchs pour le dos ».

Et tout cela engendre bien naturellement des conséquences familiales et amicales mais aussi professionnelles. Le premier retentissement intervient au sein du couple, avec celui ou celle qui partage le quotidien, la récurrence des douleurs, la fréquence des crises et la fatigue permanente. Certaines femmes refusent désormais tout simplement de vivre avec un-e partenaire car c’est trop compliqué à gérer en plus : « tout le monde n’est pas équipé pour vivre avec quelqu’un en souffrance. Nous ne pouvons plus faire les mêmes activités, la vie sexuelle, je n’en parle même pas, la fatigue intense au quotidien, les sauts d’humeur liés au dérèglement hormonal. Les sujets de conversation qui reviennent très souvent autour de l’endométriose, les médecins et le sujet de l’infertilité… » comme l’indique Johanna.

Héléna raconte : « Avec ma famille et mes amis, j'ai l'impression de décevoir les gens, soit en les prévenant que ma présence dépendra de mon état soit parce qu’en étant là, je ne suis pas au top, soit parce que j’ai répondu oui à une invitation mais au dernier moment je suis clouée au lit avec ma bouillotte. Au boulot, j'ai l'impression de pas être fiable. Je sais que je bosse bien, mais mon état influe forcément sur ma capacité de concentration, de réflexion et sur mon énergie. ». Comme elles, Priscille explique : « Pour le boulot, j'essaie de calculer si je vais avoir mes règles parce que c'est le moment du mois où la fatigue et les douleurs sont incontrôlables ». Laetitia est dans le même cas « ma productivité et ma présence au travail ont été elles aussi impactées, ce qui fait naitre un sentiment de culpabilité et une crainte d’être licenciée ».

Et immanquablement tout cela représente un coût financier très important que ce soit en raison des arrêts maladie répétés ou des dépenses pour les rendez-vous paramédicaux et autres soins de support. L’étude de l’APHP parle ainsi du « fardeau financier du traitement ». Il faut savoir qu’une grande partie des « pilules » prescrites pour l’endométriose ne sont pas remboursées par l’Assurance maladie.

Traitement ou pas traitement : comment choisir le risque à prendre ?

Mais, pour ces femmes, le plus gros problème en termes de charge mentale avec le traitement ne réside pas dans son coût financier, mais plutôt dans les conséquences qu’il peut avoir sur leur santé et sur leur corps.

Prendre un traitement hormonal peut soulager les symptômes et éviter que la maladie ne se développe mais cela signifie aussi prendre des risques car la prise d’hormones sur le long terme peut être lourde de conséquence. C’est ce qui inquiète Leslie : « J'ai décidé de ne pas prendre de traitement hormonal car je n’ai pas envie de me rajouter la charge mentale de me dire qu'en prenant une pilule je vais peut-être augmenter les risques de développer un cancer et regretter dans quelques années ».

En effet, la prise d’une pilule combinée (appelée aussi pilule oestroprogestative parce qu’elle contient à la fois des œstrogènes et un progestatif) ou d’une pilule microprogestative entraînerait une légère hausse du risque de cancers du sein, du col de l’utérus[2],[3]. Ainsi, une étude publiée en mars 2023[4] a confirmé que toutes les femmes utilisant une contraception hormonale (quelle que soit sa forme ou le mode de délivrance : pilule, stérilet, implant ou injection) ont un risque accru d’environ 20 % à 30 % de développer un cancer du sein.

La prise de certains traitements hormonaux de type progestatif seul peut également être à l’origine de l’apparition d’un méningiome (tumeur non cancéreuse au cerveau). Depuis le début de l’année 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament a publié plusieurs alertes[5],[6] qui faisaient suite aux recommandations existantes sur le sur-risque de méningiome avec la prise de Luteran et de Lutenyl[7].

A l’inverse, choisir de ne pas en prendre c’est aussi potentiellement mettre en danger sa santé car la maladie peut potentiellement coloniser des organes vitaux comme les uretères et rendre son quotidien difficile voire impossible à vivre à cause des douleurs.

Des douleurs inventées ? Comment les femmes peuvent-elle faire confiance à ce qu’elles ressentent ?

Derrière ce choix difficile face au traitement se cache une autre réalité : celle dans laquelle les femmes atteintes d’endométriose ne savent pas à quel médecin faire confiance. Beaucoup d’entre elles en ont vu une bonne dizaine avant de trouver celui ou celle qui a enfin posé le diagnostic après des années d’errance et de multiples rendez-vous au cours desquels on leur disait que les douleurs de règles sont normales et qu’elles étaient trop stressées. Cela génère une difficulté supplémentaire pour ces femmes qui se disent au quotidien : suis-je bien suivie ? Puis-je faire confiance au médecin qui m’accompagne ? M'a-t-il prescrit le meilleur traitement pour moi ?

Ainsi, Camille raconte que, pour elle, la charge mentale est d’abord liée à son long chemin avant le diagnostic : « j’étais suivie dans un centre de la douleur pour la fibromyalgie et depuis plusieurs mois, j’avais de nouvelles douleurs notamment au niveau de la vessie. Mais je n’étais pas écoutée, il aura fallu un long parcours, de nombreux examens, différents spécialistes rencontrés avant que le diagnostic soit posé. Cela a été éprouvant psychologiquement et m’a laissé une grande méfiance à l’égard des médecins ».

Ce questionnement permanent peut facilement se transformer en anxiété, comme en témoigne Nathalie : « Sans grande surprise, cette chronicité a fini par impacter ma santé psychologique et génère de l’anxiété face à la crainte d’un avenir difficile. En plus de la fatigue physique, il y a la fatigue mentale. Je me sens usée de me battre au quotidien, résister, garder la tête hors de l’eau car strictement personne à part moi-même peut faire ce que je fais pour tenter de guérir ».

Être dans un corps qui ne leur laisse aucun répit et qui leur rappelle tous les jours par des douleurs, des troubles digestifs, des troubles urinaires ou de la fatigue qu’elles sont malades est un véritable fardeau pour les femmes atteintes d’endométriose.


Rédigé par Bertille Flory - Journaliste

 

[1] Tran VT, Montori VM, Ravaud P. Is My Patient Overwhelmed?: Determining Thresholds for Acceptable Burden of Treatment Using Data From the ComPaRe e-Cohort. Mayo Clin Proc. 2020 Mar;95(3):504-512. doi: 10.1016/j.mayocp.2019.09.004. Epub 2019 Oct 13. PMID: 31619365.

[2] Selon une expertise du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) menée en 2005 et actualisée en 2012.

[4] Combined and progestagen-only hormonal contraceptives and breast cancer risk: A UK nested case–control study and meta-analysis Fitzpatrick D, Pirie K, Reeves G, Green J, Beral V (2023) Combined and progestagen-only hormonal contraceptives and breast cancer risk: A UK nested case–control study and meta-analysis. PLOS Medicine 20(3): e1004188. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1004188

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