Au cours de ses études, elle s’est battue tous les jours pour aller en cours. Aujourd’hui, même quand elle a mal à en être pliée en deux, à en vomir, elle se rend au travail. Depuis qu’elle a ses règles, elle va en moyenne une fois par an à l’hôpital à cause de ses douleurs.
Blandine a 23 ans, elle est en alternance en tant qu’assistante chef de projet et elle a appris qu’elle était atteinte d’endométriose en juin 2021, après de longues années sans comprendre de quoi elle souffrait.
“Ça a été des années de douleurs en silence, de doutes, de remise en question, confie la jeune femme. Le problème c’est que les autres ne se rendent pas compte. C’est une maladie de l’intérieur, elle ne se voit pas.“
Alors que la sensibilisation se développe autour de cette maladie gynécologique qui touche 10% des femmes en France, un aspect est encore trop peu abordé selon les patientes : l’impact psychologique de l’endométriose.
Dans une enquête récente publiée par l’association EndoFrance au sujet de la qualité de vie des “endogirls“, l’impact psychologique est la deuxième conséquence citée par les répondantes, juste après l’impact sur la vie sexuelle et avant l’impact physique.
Pourquoi l’endométriose a aussi un impact psychologique
“Je suis quelqu’un qui aime profondément la vie, poursuit notre témoin Blandine, j’aime aller boire un verre, faire la fête. Mais parfois, l'endométriose m’en a empêché. Parfois, je me suis shootée aux médocs avant de pouvoir sortir un peu, mais j’étais épuisée. Parfois, j’ai annulé au dernier moment parce que c’était juste pas possible de me lever. Dans ces moments-là, j’ai l’impression qu’elle gagne.“
Ce découragement induit par la maladie, la psychanalyste et psychosomaticienne Béatrice Marty l’observe pendant ses consultations. En général, la première chose qu’elle constate chez les femmes qu’elle reçoit est leur “détresse“.
“C’est un mot qui paraît fort mais c'est mon réel ressenti, détaille-t-elle, parce que ce sont des femmes qui ont été dans une errance thérapeutique de plusieurs années avant de trouver un médecin qui les écoute et prend en compte leur souffrance. Souvent, elles se sont entendu dire qu’il était normal d’avoir mal pendant les règles et aussi qu’elles n’allaient pas bien dans leur tête, qu’elles faisaient sûrement un peu de dépression. Quand elles viennent me voir, ces femmes sont fatiguées, frustrées et en colère car elles ont le sentiment d’avoir perdu beaucoup de temps.“
Les effets de la fatigue et des traitements
La déprime voire la dépression liées à l’endométriose s’expliquent d’abord par une grande fatigue physique.
“Les effets de la maladie sont nombreux, explique la spécialiste. Les symptômes ne sont pas uniquement présents pendant les règles ; chez certaines patientes, les douleurs sont tout le temps là, imprévisibles. C’est un cercle vicieux et ça s’imbrique dans le caractère psychique de la femme, mais aussi chez le compagnon, l’entourage. Tout cela tisse un climat très lourd à supporter.“
Par ailleurs, les traitements pour soulager les maux de l’endométriose sont aussi en cause.
“Je prends un traitement qui peut jouer sur mes humeurs, rapporte Betty, 33 ans. Je suis facilement à fleur de peau et j'ai l'impression que ça devient un trait de caractère.“
Comme le souligne Béatrice Marty, les oestrogènes prescrits dans un premier temps pour bloquer les cycles déstabilisent les femmes, et il arrive également qu’elles aient recours à des injections d’hormones pour les placer en pseudo-ménopause.
“Ne plus avoir de cycles est dur à accepter, notamment quand on est jeune. De plus, cela entraîne souvent des prises de poids, des douleurs articulaires, et beaucoup d’autres effets secondaires qui augmentent leur lassitude.“
“Je me sens souvent très seule dans cette maladie“ : le témoignage de Raphaëlle, 34 ans
La conséquence majeure de cette dimension psychologique de la maladie s’opère sur la vie sociale des endogirls. La psychanalyste remarque que les femmes qu’elle écoute sont fréquemment en retrait.
“Quand on a mal, qu’on a besoin d’être en permanence près des toilettes par exemple, on n’a pas forcément envie de sourire. Elles ont aussi peur qu’on leur fasse des remarques du type ‘ah bon, t’as encore mal ?' “
En témoigne Raphaëlle, qui s’exprime sur le sujet tabou des symptômes urinaires et digestifs : “C’est le plus handicapant car j'ai mal tous les jours et je dois anticiper la moindre sortie, le moindre rendez-vous, voyage ou temps de trajet, admet cette graphiste et relectrice de 34 ans. Il me faut penser aux médicaments, à l’appareil d’électrostimulation, à ma tenue et aux protections en cas de gros saignements, mais aussi aux toilettes… est-ce qu’il y en aura ? est-ce qu’ils seront payants, gratuits…?“
En fait, l’endométriose s’avère une charge à la fois mentale et économique. “La maladie m’impacte financièrement, poursuit Raphaëlle, c’est plus de 6000 euros par an s’il y a besoin d’une opération ! Et je ne peux plus travailler à plein temps, ni debout.“
Elle angoisse particulièrement pour son futur et se pose mille et une questions : “Oui, sur le fait de voir mon état se détériorer, sur la question de la maternité qui peut être difficile ou impossible, sur la pérennité de mon emploi, de mon couple. La fatigue chronique qui en découle m’empêche parfois de réfléchir normalement et de prendre un problème après l’autre. Je me sens souvent très seule dans cette maladie.“
Entre culpabilité et dévalorisation
Puisque l’endométriose agit sur tous les domaines de la vie - personnel, professionnel, social - les femmes développent une forme de culpabilité, ne se sentent pas à la hauteur.
“Par exemple, certaines ont mal pendant les rapports sexuels, ce qui crée une situation compliquée avec leur partenaire, développe Béatrice Marty, donc le conjoint finit par hésiter à faire des avances et un système pervers d’évitement et de frustration s’installe des deux côtés. Au travail, il peut y avoir une culpabilisation de la part du supérieur hiérarchique qui s’ajoute à l'auto culpabilisation et à la dévalorisation de celle qui souffre. Cette culpabilisation générale de la part des amis, du conjoint, du patron, de la femme elle-même explique qu’on puisse en arriver à un état dépressif.“
Mais alors, comment préserver au mieux sa santé mentale ?
Les solutions pour prendre soin de sa santé mentale
Notre spécialiste est claire : l’accompagnement psychologique est indispensable lorsqu’une femme est atteinte d’endométriose. Pour cela, il est essentiel de trouver la bonne personne avec qui travailler.
“Le problème, c’est que ces patientes ont peur de ce qu’on va leur dire, elles ont peut-être déjà eu une mauvaise expérience avec un psy qui ne connaissait pas bien la maladie.“
Dans ce cas, il ne faut pas se décourager et continuer à chercher. Béatrice Marty recommande de se tourner vers quelqu’un qui, comme elle, maîtrise la question psychosomatique.
“Pour le thérapeute, il est important d’accueillir la personne, et surtout de l’écouter, l’écouter et encore l’écouter, en montrant qu’on a tout notre temps, qu’on est là pour elle, de façon attentive et bienveillante. On lui apprend à prendre conscience de son ressenti corporel et à sortir du simple ‘j’ai mal au ventre’ en allant plus dans le détail grâce à l’analyse, en mettant des mots sur ses ressentis pour se libérer du stress émotionnel.“
Par ailleurs, l’accompagnement par un.e professionel.le permet de reconstruire une estime de soi qui est mise à mal par la dévalorisation presque systématique qui s’opère dans l’esprit des patientes.
“Elles ont tendance à se dire ‘ce n’est pas de ma faute, mais je suis quand même très nulle’, commente la spécialiste. Notre travail consiste à les aider à retrouver la possibilité de faire des projets car elles ont souvent comme un voile noir devant elles à cause du diagnostic.“
Si vous faites partie des proches d’une patiente, la meilleure chose à faire est aussi de tendre l’oreille.
“On l’accompagne au mieux en écoutant sans juger, ce qui n’est pas forcément évident, et en proposant un soutien, par exemple en l’accompagnant lors d’un rendez-vous important.“
Et lorsque le ou la conjoint.e est partant.e, la thérapie de couple peut être très utile… pour se sentir mieux, à deux.
Rédigé par Chloé Thibaud - Journaliste